Safari en Microbie — Episode 1 : Bienvenue en Microbie
Une fois n’est pas coutume, je vais t’emmener faire un tour dans le monde microscopique et rendre visite à un certain nombre de microbes. Je t’ai déjà dit (ici) que j’avais fait un détour professionnel par la microbiologie et, franchement, il y a dans ce monde des choses assez fascinantes qui méritent plusieurs épisodes. Ce monde des microbes, je vais appeler ça la Microbie, histoire que ce soit un peu plus vendeur. Pour détourner une partie de la citation d’Antoine de Saint-Exupéry, « L’essentiel [y] est invisible pour les yeux », mais la Microbie représente l’écrasante majorité des êtres vivants qui peuplent actuellement notre planète. D’ailleurs, tiens-le toi pour dit, il fut un temps où elle représentait l’entièreté de la biosphère !
La découverte du monde microscopique — un résumé rapide
Si tu n’as jamais utilisé de microscope, alors tu es dans la même situation (mais avec bien plus de connaissances scientifiques) que les gens d’avant le XVIIIe siècle. L’infiniment petit ne t’es pas familier. Alors, je vais commencer par le commencement. Le monde microscopique est aussi divers — et même bien plus, en réalité — que le monde macroscopique (celui qu’on voit). Mais la résolution de la vision humaine, c’est-à-dire la distance perceptible minimale entre deux points, se situe aux alentours de 175 micromètres (µm), en moyenne[1]. Les objets de taille inférieure, nous ne les voyons pas. C’est là que commence le monde microscopique — la Microbie (Figure 1). Pour information, 175 µm, ça veut dire 175 millionièmes de mètres (175×10-6 m), ce qui représente à peu près l’épaisseur d’un « gros » cheveu[2]. La résolution de la vision humaine peut être meilleure dans certaines conditions, mais il est généralement impossible de voir les microorganismes, raison pour laquelle leur découverte n’a été possible qu’à l’aide des premiers microscopes[3].
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Figure 2: Description du microscope de Robert Hooke. |
Robert Hooke avait observé beaucoup de matériaux avec son microscope[7]. En plus d’insectes et de minéraux — que personne n’avait jamais vu en détail! —, il observa une coupe d’écorce de chêne, un tissu mort, constitué de bois. Il y distingua des milliers de petites « logettes » vides séparées par de fines parois qu’il appela « cellules » (cellula, en latin), en référence aux petites pièces de vie spartiates qu’occupaient les moines dans les monastères. Ces « cellules » étaient vides, mais dans des tissus vivants de plantes, elles sont effectivement occupées par des cellules, au sens moderne du terme. C’est en raison de ce nom donné par Hooke que les unités vivantes minimales des êtres vivants, et constituant les tissus végétaux et animaux, ont été ensuite également appelées cellules. Mais attention, les «vraies» cellules n’ont été identifiées en tant qu’unités vivantes et caractérisées que bien plus tard, au XIXe siècle (200 ans plus tard). Hooke a réuni ses observations dans un ouvrage appelé Micrographia (publié en 1665), que tu peux trouver et lire sur le site de la Bibliothèque Nationale de France (BnF, Gallica, ici) (Figure 3).
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Figure 3: Les "cellules" de Robert Hooke |
Le découvreur des microorganismes unicellulaires, c’est incontestablement van Leeuwenhoek [5,6]. En 1676, il publia une lettre résumant ses observations de l’eau accumulée dans des anfractuosités, de l’eau de rivières, de lacs, de mares, de marais[9]. D’autres observations suivirent au fil des années[10], et toutes faisaient mention de « petits animaux », d’ « animacules » microscopiques dont la nature était inconnue — qu’on appellerait aujourd’hui des unicellulaires (organismes constitués d’une seule cellule). Ces observations furent rapidement confirmées par Hooke, puis par de nombreux autres, à mesure que l’utilisation du microscope se démocratisait et que les techniques et les connaissances en optique s’amélioraient[11]. La Microbie était découverte.
Leeuwenhoek a certes découvert les premiers unicellulaires, mais personne ne se doutait qu’ils étaient constitués d’une cellule. Le concept même de cellule, tel qu’on le conçoit aujourd’hui n’existait pas[12]. Une cellule, c’était alors juste une logette vide microscopique dans le bois. Point. Pour ces observateurs de l’époque, ces choses minuscules étaient des animaux: ils bougeaient. Le fait que les tissus animaux et végétaux soient constitués de cellules n’a pas été compris avant les années 1830-1860, avec la théorie cellulaire de Schleiden et Schwann (1859)[13]. Pourquoi ? Explication en images (Figure 4).
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Figure 4: Observation microscopique d'une coupe de tige de plante (à gauche) et d'un fragment de tissu de plante (à droite). |
Quand tu regardes au microscope aux grossissements de l’époque (entre 10x et 50x), tu peux voir que pour des sections de tiges (une fine tranche de tige), tu peux distinguer des cellules, surtout sur le pourtour (Fig. 4, à gauche) de la section de tige. Là, les cellules sont bel et bien vivantes, contrairement au bois que Hook avait observé. Il paraît donc assez évident que les tissus de plantes sont en fait des assemblages de telles cellules. Mais dans la majorité des cas, tu ne vois qu’un ensemble informe, fibreux, où les cellules ne sont pas visibles (Fig. 4, à droite). C’est ce que tu verrais aussi avec des tissus animaux. De ce fait, sans images plus précises (grossissements plus importants) et sans techniques de coloration et/ou de fixation (pour figer les structures), le fait que les tissus animaux, végétaux, etc. soient constitués de cellules est resté incertain jusqu’au années 1830-1850. Jusque-là, on pensait que les tissus animaux et végétaux étaient constitués de fibres.
En fait, il est plus simple de voir des cellules animales lorsqu’elles sont isolées, seules, circulantes, et pas engagées dans la construction d’un tissu. Par exemple les cellules sanguines, ou même des cellules épithéliales de la bouche arrachées par un écouvillonnage. Je t’ai illustré ça en écouvillonnant mes propres cellules épithéliales buccales et en les plaçant sur une lame d’observation (Figure 5). Mais, le fait que tous les tissus soient constitués de cellules, ça, ce n’était pas si évident.
Aujourd’hui, on sait qu’il existe deux types d’organismes: les eucaryotes, dont les cellules possèdent un noyau — c’est le cas de tous les animaux, plantes, champignons et de beaucoup d’unicellulaires — et les procaryotes, qui n’ont pas de noyau (bactéries, archées). Cette distinction n’a été mise en évidence qu’au cours des années 1950, et acté dans les années 1960[14], grâce à l’amélioration de la microscopie, et notamment l’invention de la microscopie électronique.
Mais peu importe. Le fait est que les premiers microorganismes ont été vus à partir de 1673 par Leeuwenhoek. Et qu’a-t-il vu, au juste ? Plein de choses (voir dans[15]). Je peux t’en donner une idée en prélevant un peu d’eau dans une mare (là, c’était en juin, par ~ 30 °C) et en l’observant au microscope.
Ce qui se cache dans de l’eau
Tu as certainement déjà croisé ce genre de petite mare décorative, avec une eau calme mais tout de même régulièrement renouvelée. C’est généralement plein de plantes aquatiques, d’algues, de débris végétaux, avec toute une faune de poissons, d’insectes, etc. Mais ce que tu ne vois pas, c’est la diversité d’organismes microscopiques qui se cachent dans ce monde pourtant familier. Je vais t’emmener y faire un tour à l’échelle du micromètre.
Si tu places un échantillon d’eau prélevée dans cette mare entre lame et lamelle, et que tu regardes sous un microscope classique, tu vois ce genre de choses, que Leeuwenhoek et les gens de son époque ont dû voir aussi.
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Figure 6 |
D’abord, on distingue assez facilement les algues filamenteuses qui flottent un peu partout. Lorsque tu les observes au microscpe, ça donne ça (Fig. 6). Des filaments de cellules les unes à la suite des autres. Ce sont des eucaryotes (le noyau n’est pas visible ici) multicellulaires (constitués de plusieurs types de cellules) et photosynthétiques (ils peuvent utiliser l’énergie lumineuse et le CO2 pour produire de la matière organique). Les chapelets verts visibles à l’intérieur des cellules, ce sont des ensembles de chloroplastes, des organites intracellulaires spécialisés dans la photosynthèse (que les cellules animales n’ont pas). Là, c’est un organisme appelé Spirogyra.
D’autres algues, appelées Zygnema, peuplent ce milieu aquatique. Là aussi ce sont des eucaryotes photosynthétiques, parsemés de chloroplastes verts. Là (Fig. X), tu vois deux filaments qui ne sont pas au même stade de développement. En haut de l’image, le gros globule ovoïde, c’est un eucaryote unicellulaire qu’on appelle une paramécie (Paramecium). C’est une seule cellule qui peut faire jusqu’à 200 µm (et être visible à l’oeil nu!) avec des cils permettant ses déplacements. On distingue l’un de ses noyaux teinté de rouge (elle a en réalité 2 noyaux) et plein de sacs (les vacuoles) bourrées de bactéries photosynthétiques (vertes) en cours de digestion. Paramecium est un prédateur microscopique de bactéries.
Là, je te mets le film que j’ai réalisé avec mon téléphone collé à l’objectif du microscope. La qualité, c’est pas trop ça, évidemment, mais j’espère que tu me pardonneras. Tu verras néanmoins des paramécies se déplacer entre les algues Spirogyra et Zygema.
En plus des algues, tu trouves aussi une diatomée (un eucaryote aussi) appelée Stephanodiscus —un unicellulaire de près de 100 µm !— qui possède une carapace de silice (tu peux voir des exemples d’autres diatomées ici) ; il y a aussi des grappes de cellules eucaryotes photosynthétiques: les Scenedesmus (plusieurs espèces différentes) (Figure 7).
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Figure 7 |
Là, je te dépose encore un film que j’ai réalisé avec mon téléphone collé à l’objectif. Tu y verras la même image que dans la figure précédente, mais avec les mouvements.
Il y a aussi une multitude d’autres unicellulaires qui traînent, et je vais pas tout te lister. Mais tu peux aussi trouver des eucaryotes multicellulaires… qui sont des animaux. En l’occurrence, on croise ici un rotifère en train de se nourrir d’une algue. Ce sont des animaux très étranges qu’on a longtemps cru être asexués.
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Figure 8 |
Je t’ajoute un film avec un rotifère en train de se repaître de bactéries (que tu ne vois pas) et d’unicellulaires, et qui s’attaque à un filament de Spirogyra, sûrement pour en goûter quelques morceaux.
Il y a aussi, dans cette eau, des tas de bactéries que tu ne peux pas voir avec ce microscope… Enfin si ! Tu peux voir Oscillatoria, un filament constitué d’un assemblage de cellules bactériennes (procaryotes) (Figure 9). Ce sont des cyanobactéries photosynthétiques dont les cellules sont d’assez grande taille, pour des bactéries.
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Figure 9 |
Conclusion
On en a fini avec l’épisode 1, qui avait pour but de te montrer que, même dans une goutte d’eau, tu peux trouver pas mal de diversité. Et on verra un de ces jours comment toutes ces bestioles vivent les unes avec/contre les autres. J’espère que ça t’a plu. En tout cas, je te dis merci d’avoir lu jusqu’ici, et comme d’habitude, je te mets les références juste après. A bientôt !
[1] Plaza-Puche, A. B., Salerno, L. C., Versaci, F., Romero, D. & Alio, J. L. Clinical evaluation of the repeatability of ocular aberrometry obtained with a new pyramid wavefront sensor. Eur. J. Ophthalmol. 29(6), 585–592 (2019).
[2] Ley, Brian (1999). Elert, Glenn (ed.) Diameter of a human hair. The Physics Factbook. Retrieved 2018-12-08 ainsi que: Smith, Graham T. (2002). Industrial metrology. Springer. pp. 253. ISBN 9781852335076.
[3] Wollman AJ, Nudd R, Hedlund EG, Leake MC. From Animaculum to single molecules: 300 years of the light microscope. Open Biol. 2015 Apr;5(4):150019. doi: 10.1098/rsob.150019.
[4] Wollman AJ, Op. Cit.
[5] Gest H. The discovery of microorganisms by Robert Hooke and Antoni Van Leeuwenhoek, fellows of the Royal Society. Notes Rec R Soc Lond. 2004 May;58(2):187-201. doi: 10.1098/rsnr.2004.0055.
[6]Baker & Leeuwenhoek, 1739, Phil. Trans. 41,
503–519, doi: 10.
1098/rstl.1739.0085, https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstl.1739.0085.
[7] Gest H. The remarkable vision of Robert Hooke (1635-1703): first observer of the microbial world. Perspect Biol Med. 2005; 48(2):266-72. doi: 10.1353/pbm.2005.0053.
[8] Gest H. (2004), Op. Cit.
[9] Boutibonnes Philippe. Antoni van Leeuwenhoek, 1683 : une image simple, simplement une image.... In: Genesis (Manuscrits-Recherche-Invention), numéro 20, 2003. Écriture scientifique. pp. 71-80. https://www.persee.fr/doc/item_1167-5101_2003_num_20_1_1243
[10] Lane N. The unseen world: reflections on Leeuwenhoek (1677) 'Concerning little animals'. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci. 2015 Apr 19;370(1666):20140344. doi: 10.1098/rstb.2014.0344.
[11] Ratcliff, M. J. The Quest for the Invisible, 2009, Ashgate, ISBN-10: 0754661504
[12] Mazzarello P. A unifying concept: the history of cell theory. Nat Cell Biol. 1999 May;1(1):E13-5. doi: 10.1038/8964
[13] Mazzarello P. A, Op. Cit.
[14] Sapp J. The prokaryote-eukaryote dichotomy: meanings and mythology. Microbiol Mol Biol Rev. 2005 Jun;69(2):292-305. doi: 10.1128/MMBR.69.2.292-305.2005.
[15] Mazzarello P., Op. Cit.
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