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Safari microbien — Episode 4 : l’ « odeur de la pluie »


Safari microbien — Episode 4 : l’ « odeur de la pluie »

 

On va refaire un tour en Microbie, le monde des organismes microscopiques qui règnent en maîtres sur le monde. Et aujourd’hui, en Microbie, on va parler de « l’odeur de la pluie ». Parce que oui, y a un rapport avec les microbes. 

 

L’odeur de la pluie

Figure 1
 

Le décor: c’est l’été (Figure 1), une fin d'après-midi. Il a fait une température de 32 °C, l’air devient de plus en plus lourd et l’horizon de plus en plus noir. Le vent se lève et quelques gouttes s’écrasent au sol. Premiers éclairs, roulement de tonnerre dans le lointain qui annonce l’orage s’avançant vers toi. Le vent se met à souffler plus fort, la pluie à crépiter plus intensément. Tu sens? Une odeur musquée et fraîche s’élève du sol en train de s’humidifier — une odeur « de terre humide ». On l’appelle « odeur de la pluie », mais l’eau n’a aucune odeur. D’où provient alors ce parfum?

Figure 2
Son nom: le pétrichor [«pétrikor»], nom donné par I. J. Bear (1927-2021) et R.G. Thomas (Figure 2), en 1964[1]. Vers 1865, T.L. Phipson (1833-1908) avait supposé que l’odeur dégagée pendant les averses d’été était probablement due à des molécules organiques — des « huiles essentielles de plantes », selon lui— piégées dans le substrat poreux de la terre, et libérées pendant les pluies, suite au lessivage[2][3] (Figure 3). M. Berthelot (1827-1907) et G. André (1856-1927), proposèrent quant à eux (1891) qu’il pût s’agir de substances issues de plantes en décomposition[4].

Entre 1906 et 1938, d’autres scientifiques, plutôt versés dans la microbiologie, remarquèrent que certains microorganismes dégagent une odeur terreuse lorsqu’ils sont cultivées en laboratoire [1]. Parmi eux, des bactéries du genre Streptomyces[5]. Quand tu les cultives sur une boîte de Petri, tu as l’impression qu’elles forment des colonies de moisissures (que tu peux voir ici) — mais ce sont bel et bien des bactéries et non des eucaryotes.

Figure 3: La citation de Philpson est la suivante: "je suis arrivé à la conclusion que l’odeur dégagée par les sols et les strates sédimentaires après une forte averse puvieuse d’été était due à la présence de substances organiques proches des huiles essentielles de plantes, et il m’apparaît évident que, par temps chaud et sec, ces surfaces poreuses absorbent les fragrances émises par des milliers de fleurs et les rendent à nouveau lorsque la pluie pénètre à l’intérieur de ces pores et chasse les substances volatiles diverses qui y étaient emprisonnées, qui ne sont que peu solubles dans l’eau".

Alors? Qui avait raison? Huiles essentielles? Molécules issues de la décomposition des plantes? En fait, tout le monde avait un peu raison. Tous ces composés contribuent à l’ « odeur de la pluie », mais un seul est responsable de la dominante intense.

Les Streptomyces, ce sont des bactéries extrêmement courantes dans les sols. Tu as l’habitude de voir des bactéries représentées comme des unicellulaires en bâtonnet. Mais les Streptomyces, eux, ce sont des bactéries multicellulaires [5] (Figure 4). Oui, je sais, ça te paraît étrange. Mais en fait, bien que les Streptomyces possèdent une forme unicellulaire, ils peuvent aussi se développer sans que les cellules ne se séparent, et former des filaments. Le préfixe « Strepto », en langage de microbiologiste, ça veut dire « en chaîne ». Il y a plein de bactéries qui peuvent former des chaînes de cellules identiques (des Streptobacilles, Streptocoques, etc.) et qui ne sont pas multicellulaires pour autant. 

Figure 4

Là, si on dit « multicellulaire », c’est parce que toutes les cellules ne sont pas identiques[6][7][8][9]. Autrement dit, certaines peuvent se différencier en formes spécialisées. Certaines pour la croissance végétative (le prolongement des filaments par division), tandis que d’autres sont spécialisées dans la reproduction par sporulation (formation de spores) ou d’autres rôles [5] (Figure 5). C’est ça, un multicellulaire. Un organisme constitué de cellules qui peuvent avoir des rôles anatomiques, métaboliques, reproductifs, etc. différents [6-9]. Les Streptomyces, donc, sont des multicellulaires [5]

Figure 5: C'est le cycle de vie des Streptomyces. Le schéma est issu de la publication citée en-dessous. Tout commence avec une spore. C’est une forme cellulaire spécialisée, dormante (généralement métaboliquement inactive) qui se dissocie de la colonie de Streptomyces, et peut être emportée par le vent ou d’autres évènements. C’est un peu l’équivalent (en simplifiant) du pollen chez les plantes. Si cette spore rencontre un environnement favorable, elle se réactive (métaboliquement parlant) et germe. Cela signifie qu’elle se développe, grandit, se divise, les cellules-filles résultantes restant accrochées les unes aux autres sous la forme d’une chaîne. C’est un filament (un hyphe). Les Streptomyces forment donc des colonies d’apparence duveteuses, filamenteuses, comme le font les champignons (qui eux ne sont pas des bactéries!). Certaines zones de la colonie se spécialisent, et les filaments correspondant adoptent une morphologie différente, torsadée, et c’est là que certaines cellules se différencient en grappes de spores qui, plus tard, seront disséminées, etc. Bref, tu comprends qu’il y a plusieurs types de cellules: les cellules végétatives, en chaînes, qui se divisent en permanence et font croître les filaments de la colonie; tu as les cellules spécialisées qui se divisent et produisent des grappes de spores.
 

Le rapport avec l’ « odeur de la pluie » ? Ce sont eux, les Streptomyces, qui produisent la molécule qui provoque, lorsqu’elle est détectée par nos récepteurs olfactifs, cette odeur si particulière. Cette molécule, on l’appelle la géosmine[10] (Figure 6).

Figure 6
Les Streptomyces possèdent une enzyme (une protéine qui coordonne et réalise une réaction biochimique, que je te décris un peu dans la Figure 7) la géosmine synthase (GeoS)[11][12]. Ça veut dire que ces bactéries possèdent un gène dans leur génome et que son expression par transcription en ARNm et sa traduction en protéine permet de produire GeoS (on verra un jour l’expression des gènes). GeoS utilise un métabolite (une molécule issue du métabolisme) présente chez tous les organismes (y compris chez nous, les humains), le farnesyl diphosphate. Elle le convertit alors en géosmine[13] (Figure 7, pour les experts). Cette molécule là, dans le jargon biochimique, c'est un truc qui appartient à la classe des terpènes, comme pas mal de molécules odorantes chez les plantes (comme le mentol, par exemple). Ce gène est aussi présent chez pas mal de cyanobactéries et quelques champignons[14][15].

Donc, seuls les organismes possédant GeoS (et donc le gène permettant sa synthèse par la machinerie génétique) peuvent utiliser le farnesyl-diphosphate pour produire la géosmine. Et tu sais quoi? Les cyanobactéries et champignons qui en produisent, tu les as déjà sentis. L’odeur terreuse de l’eau que t’as laissée trop longtemps dans le réservoir de la cafetière, le goût terreux du vin qui a mal vieilli, l’eau croupie, une partie de l’odeur de cave, tout ça, c’est la géosmine… et donc dû à la présence de Streptomyces, cyanobactéries et/ou champignons.

Figure 7: Je te rappelle à tout hasard que le farnésyl-disphosphate, c’est une molécule produite chez énormément d’organismes, même chez nous, humains. Mais chez les Streptomyces, il est utilisé (en plus d’un tas d’enzymes) par la géosmine synthase pour produire la géosmine. La géosmine synthase utilise le farnesyl-diphosphate et une molécule d’eau, et après une série de réactions complexes (des réarrangements des atomes entre eux, et des liaisons qu’ils partagent entre eux), elle libère de la géosmine et du pyrophosphate. Et voilà, la géosmine est synthétisée. La géosmine synthase (GeoS), chez Streptomyces coelicolor, c’est une enzyme (une protéine, donc) de 726 résidus d’acides aminés. Une partie de sa structure a été déterminée par diffraction aux rayons X (Protein Data Bank, numéro d’identification 5DZ2), les 329 premiers acides aminés (les suivants ont une structure encore inconnue).
 

En somme, ce sont surtout les Streptomyces qui, dans le sol, produisent de la géosmine (et ceci pour des raisons que nous verrons un autre jour, peut-être). Ils se développent très bien en été, lorsque la température extérieure leur est favorable. Lorsqu'il pleut, les gouttes qui s'écrasent sur le sol (terre, béton, asphalte, rochers, etc.) produisent des aérosols qui emportent avec eux des molécules de géosmine dans l'atmosphère. Et là, patatras, tu sens cette odeur très particulière "de pluie". Mais attention, si la majorité des humains peuvent sentir cette odeur, il existe des personnes qui en sont incapable, à cause d'une variation génétique qui les en empêchent. 

 

Le goût terreux…

La géosmine est extrêmement volatile et lorsqu’elle est libérée dans l’air, nous percevons donc une “odeur de terre fraîchement retournée” ou, plutôt une “odeur de pluie”. D’autres bactéries — les cyanobactéries — produisent aussi la géosmine[16]. C’est l’une des raisons qui font que si tu laisses trop longtemps le réservoir d’eau de ta cafetière macérer, sans la changer, il finit par s’en dégager une odeur terreuse, ou croupie. D'ailleurs, l'une des espèces de cyanobactéries capable de synthétiser la géosmine (et donc possédant la géosmine synthase), tu l'as déjà rencontrée dans l'épisode 1 de cette série sur la microbiologie: Oscillatoria (Figure 8). C'était l'un des microorganismes qu'on trouvait dans l'eau d'une mare... et qui participe à cette odeur d'eau croupie! C'est une espèce de cyanobactéries formant des filaments multicellulaires, avec des cellules collées entre elles.
Figure 8

Peu d’autres organismes, en dehors des bactéries citées (Streptomyces et cyanobactéries comme Oscillatoria), peuvent synthétiser la géosmine [16]. Mais, il y en a tout de même. La betterave contient de la géosmine[17] — d’où son odeur et son goût terreux. Il semblerait qu’elle possède une géosmine synthase[18][19][20], bien que cela ne soit pas encore certain (la géosmine viendrait alors de microorganismes symbiotiques). Et puis, il y a aussi des champignons [16]. Et ça, tu en as probablement aussi déjà fait l’expérience. 

Figure 9
Laisse-moi te raconter (Figure 9) : il y a quelques temps, en été, je me suis dit “Tiens, avec cette chaleur, je mangerais bien une pêche, ça me rafraîchira !” Ni une, ni deux, me voilà dans la cuisine, debout devant le panier à fruits, en train d’observer l’empilement de pêches plates et là… catastrophe ! Il n’en reste que deux. L’une est en train de se faire grignoter par une moisissure, et l’autre a l’air présentable. Je goûte donc l’autre. Et là, c’est le drame ! Pas une seule trace de moisissure visible en surface (du moins à l'oeil nu), mais elle a manifestement déjà été colonisée par elle, sans qu’elle n’ait encore produit ses spores en surface. Cette pêche a le même goût terreux qu’une betterave !

Oui, cette moisissure, c’est Penicillium expansum. Très courante sur les fruits, où elle finit toujours par se développer au bout d’un moment et à se répandre à tout le panier. Comment je le sais sans même une analyse génétique ? Parce que c’est une moisissure qui produit de la géosmine[21] et qu'elle a cette apparence verdâtre. Je te l'ai même cultivée au labo sur une boîte gélosée (Figure 10), histoire que tu la voies mieux. Et crois-moi, ça sentait vraiment très fort la géosmine!

Figure 10
 

Voilà, j’espère que ça t’a plu ! Comme d’habitude, je te rajoute les références et je te dis à bientôt !

 

Références

[1] Bear, IJ & Thomas, RG, Nature of argillaceous odour, Nature, 201(4923), 1964, p. 993-995, DOI10.1038/201993a0

[2] Phipson, T. L. The Odor of the Soil after a Shower, Scientific American. 64 (20): 308, 16 may 1891

[3] Phipson, T.L., Cause of the Odour Emitted by the Soil of a Garden after a Summer Shower", The Chemical News, Vol.63, No.1638, (17 April 1891), p.179, lien: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/80/The_chemical_news._Volume_63%2C_January_-_June_1891._%28IA_s713id13691660%29.pdf

[4] Berthelot, M. M. and Andre, G., Chem. News, 63, 176 (1891).

[5] Barka EA, Vatsa P, Sanchez L, Gaveau-Vaillant N, Jacquard C, Meier-Kolthoff JP, Klenk HP, Clément C, Ouhdouch Y, van Wezel GP. Taxonomy, Physiology, and Natural Products of Actinobacteria. Microbiol Mol Biol Rev. 2015 Nov 25;80(1):1-43. doi: 10.1128/MMBR.00019-15 et aussi: Hoskisson PA, van Wezel GP. Streptomyces coelicolor. Trends Microbiol. 2019 May;27(5):468-469. doi: 10.1016/j.tim.2018.12.008.

[6] Claessen D, Rozen DE, Kuipers OP, Søgaard-Andersen L, van Wezel GP. Bacterial solutions to multicellularity: a tale of biofilms, filaments and fruiting bodies. Nat Rev Microbiol. 2014 Feb;12(2):115-24. doi: 10.1038/nrmicro3178

[7] Rose CJ and Hammerschmidt K (2021) What Do We Mean by Multicellularity? The Evolutionary Transitions Framework Provides Answers. Front. Ecol. Evol. 9:730714. doi: 10.3389/fevo.2021.730714

[8] Bich L, Pradeu T and Moreau J-F (2019) Understanding Multicellularity: The Functional Organization of the Intercellular Space. Front. Physiol. 10:1170. doi: 10.3389/fphys.2019.01170

[9] Niklas KJ, Newman SA. The many roads to and from multicellularity. J Exp Bot. 2020 Jun 11;71(11):3247-3253. doi: 10.1093/jxb/erz547.

[10] Gerber, N. N. & Lechevalier, H. A. Geosmin, an earthly-smelling substance isolated from actinomycetes. Appl. Microbiol. 13, 935–938 (1965).

[11] Cane DE, Watt RM. Expression and mechanistic analysis of a germacradienol synthase from Streptomyces coelicolor implicated in geosmin biosynthesis. Proc Natl Acad Sci U S A. 2003 Feb 18;100(4):1547-51. doi: 10.1073/pnas.0337625100

[12] Jiang J, He X, Cane DE. Biosynthesis of the earthy odorant geosmin by a bifunctional Streptomyces coelicolor enzyme. Nat Chem Biol. 2007 Nov;3(11):711-5. doi: 10.1038/nchembio.2007.29

[13] Jiang J, He X, Cane DE. Geosmin biosynthesis. Streptomyces coelicolor germacradienol/germacrene D synthase converts farnesyl diphosphate to geosmin. J Am Chem Soc. 2006 Jun 28;128(25):8128-9. doi: 10.1021/ja062669x

[14] Churro C, Semedo-Aguiar AP, Silva AD, Pereira-Leal JB, Leite RB. A novel cyanobacterial geosmin producer, revising GeoA distribution and dispersion patterns in Bacteria. Sci Rep. 2020 May 26;10(1):8679. doi: 10.1038/s41598-020-64774-y.

[15] Mattheis JP, Roberts RG. Identification of geosmin as a volatile metabolite of Penicillium expansum. Appl Environ Microbiol. 1992 Sep;58(9):3170-2. doi: 10.1128/aem.58.9.3170-3172.1992.

[16] Churro C, Semedo-Aguiar AP, Silva AD, Pereira-Leal JB, Leite RB. A novel cyanobacterial geosmin producer, revising GeoA distribution and dispersion patterns in Bacteria. Sci Rep. 2020 May 26;10(1):8679. doi: 10.1038/s41598-020-64774-y.

[17] Liato V, Aïder M. Geosmin as a source of the earthy-musty smell in fruits, vegetables and water: Origins, impact on foods and water, and review of the removing techniques. Chemosphere. 2017 Aug;181:9-18. doi: 10.1016/j.chemosphere.2017.04.039

[18] Lu G, Edwards CG, Fellman JK, Mattinson DS, Navazio J. Biosynthetic origin of geosmin in red beets (Beta vulgaris L.). J Agric Food Chem. 2003 Feb 12;51(4):1026-9. doi: 10.1021/jf020905r

[19] Hanson SJ, et al. Beta vulgaris ssp. vulgaris chromosome 8 shows significant association with geosmin concentration in table beet. G3 (Bethesda). 2021 Dec 8;11(12):jkab344. doi: 10.1093/g3journal/jkab344

[20] Freidig AK, Goldman IL. Geosmin (2β,6α-dimethylbicyclo[4.4.0]decan-1β-ol) production associated with Beta vulgaris ssp. vulgaris is cultivar specific. J Agric Food Chem. 2014 Mar 5;62(9):2031-6. doi: 10.1021/jf4047336

[21] Mattheis JP, Roberts RG. Identification of geosmin as a volatile metabolite of Penicillium expansum. Appl Environ Microbiol. 1992 Sep;58(9):3170-2. doi: 10.1128/aem.58.9.3170-3172.1992


Safari microbien — Episode 3 : Le monde foisonnant du sol, et tout ça « en pratique »

 


Safari microbien — Episode 3 : Le monde foisonnant du sol, et tout ça « en pratique »

 

Tu ne t’en rends peut-être pas compte, chère lecteur/chère lectrice, mais des milliards — voire des milliers de milliards — d’organismes te côtoient à tout instant. Partout. Dans l’eau, l’air, sur la peau, dans ton corps, etc. Cela représente des millions d’espèces. Beaucoup de monde, donc. La diversité microbienne dans l’environnement est proprement gigantesque. Si tu regardes en France[1], on dénombre des centaines de milliers d’espèces animales et de plantes, mais ceci ne représente qu’une minuscule fraction des formes vivantes. L’essentiel est invisible. Les microorganismes invisibles à l’œil nu représentent une biomasse plus gigantesque encore. Si tu considères la « biodiversité » comme le nombre d’espèces différentes (ce qui est discutable et discuté, voir[2]), alors les bactéries, les champignons, les archées, etc. représentent une biodiversité énorme. D’ailleurs, tu remarqueras que le terme « archées » (prononcer [arké]) t’es probablement complètement inconnu, alors que ces organismes unicellulaires qui ressemblent à des bactéries — mais n’en sont pas — sont très nombreux et très présents sur Terre.

 

Petit survol de ce qu’on trouve dans le monde de la Microbie

Il est peut être utile, à ce stade, que je te fasse un petit résumé des différents types d’organismes qui existent actuellement sur la planète. Evidemment, on peut les classer toute cette gigantesque diversité dans tout un tas de classes, de familles, de genres, mais en dépit de leurs morphologies, métabolismes, modes de vie, etc. très hétéroclites, ont peut les ranger dans des catégories plus vastes si l’on prend en compte la façon dont son organisées leurs cellules. Il y a ainsi deux types d’organismes : 1) les eucaryotes qui possèdent des cellules parfois très grandes, qui ont surtout la particularité de posséder un noyau membranaire renfermant l’ADN ; 2) les procaryotes qui possèdent généralement des cellules plus petites (de l’ordre de 0,2 à 1 ou 2 micromètres en moyenne) et qui ne disposent pas de structure équivalente au noyau.

Les animaux, les plantes, les champignons et un certain nombre d’unicellulaires (constitués d’une seule cellule) sont tous des eucaryotes, tandis que les bactéries et leurs cousines les archées sont des procaryotes, généralement unicellulaires (mais il peut y avoir des procaryotes multicellulaires). Dans l’univers de la Microbie (des microorganismes), on trouve donc des eucaryotes unicellulaires, comme certains champignons, des organismes très divers qu’on appelle des protistes, mais aussi tout une diversité de bactéries et d’archées. Evidemment, il y a aussi les virus, archétype s’il en est de l’entité biologique microscopique.

 

Faisons un tour dans la Microbie en pratique

Pour t’illustrer la diversité microscopique gigantesque qui te côtoie, j’ai choisi l’exemple du sol — disons ce qu’on trouve dans la terre d’un jardin. Je te donnerai d’autres exemples bientôt, mais on va commencer par le sol. C’est plus simple.

Figure 1
 

Prélevons un peu de terre dans un potager tout ce qu’il y a de plus normal. Comme sur la figure 1. Tu ne vois rien, à part de la terre. Mais dedans, dans quelques centaines de milligrammes, il y a des milliers d’organismes microscopiques. On pourrait observer tout ça au microscope. Je t’avais d’ailleurs déjà donné un exemple avec un échantillon d’eau d’une mare dans l’épisode 1. Mais dans ce cas, on avait des organismes assez gros (algues, paramécies, etc.), bien plus gros que des bactéries moyennes. Ces dernières sont beaucoup plus difficile à observer avec le type de microscope que j’avais utilisé, sans aucune coloration pour favoriser leur détection.

De plus, c’est parfois compliqué, la microscopie, et t’es pas toujours certain.e qu’il y ait beaucoup de microorganismes à voir. Avant ça, tu peux tenter de les « voir » à l’œil nu — du moins les « colonies » qu’ils forment — en les cultivant sur boîte de Petri (Figure 2). D’ailleurs, je te renvoie à l’épisode 2 pour comprendre tout ça un peu mieux si jamais tu n’en as pas l’habitude.

Figure 2
 

Mais attention ! Ce que cela signifie, c’est que tu pourras « voir » seulement les organismes capables de croître sur les milieux nutritifs que tu utilises et dans les conditions de température, pression, humidité, etc. que tu as choisies. On estime qu’on peut cultiver en laboratoire seulement 1 % des microorganismes présents dans l’environnement[3][4]. Le reste existe, vit un peu partout mais nécessite soit des conditions que tu ne peux pas reproduire, soit la présence d’autres organismes (symbioses).

 

Cultiver les microorganismes du sol : préparation des échantillons

Revenons à nos moutons. Ici, j’ai suspendu les 200 mg d’échantillon de terre dans 1 mL (millilitre) de solution saline — qui contient du phosphate et du sel, NaCl, à pH neutre — en mélangeant bien grâce à un agitateur qu’on appelle un vortex ; comme sur cette vidéo.

 


Le « phosphate » (H2PO4) joue ici le rôle de « tampon », c’est-à-dire une substance qui régule le pH. Le sel (NaCl, chlorure de sodium ou sel commun, comme celui que tu utilises pour saler tes plats), c’est pour réguler la pression osmotique ou, dit autrement, pour éviter que les cellules bactériennes n’éclatent dans de l'eau pure.

La suspension que j’obtiens est très concentrée (ce que tu peux voir à la coloration), donc j’ai prélevé 0,1 mL (ce qui correspond à 100 microlitres) avec une micropipette, que j’ai transférés dans un tube contenant 0,9 mL de solution saline. Autrement dit, j’ai placé mes 0,1 mL d’échantillon dans un volume de liquide final dix fois plus grand (0,1 mL + 0,9 mL = 1 mL). Tout ce qui se trouvait dans mon échantillon est donc maintenant réparti dans un espace liquide dix fois plus grand, et est de ce fait dix fois plus « dispersé ». On dit que l’échantillon est dilué 10 fois. Il est dix fois moins concentré. Tu vois d’ailleurs que c’est moins coloré.

J’ai recommencé avec ce tube dilué 10x, et j’en ai transféré 0,1 mL dans un nouveau tube contenant déjà 0,9 mL de solution saline. Encore une dilution par 10. Donc, maintenant, l’échantillon est dilué 100 fois. C’est celui-là qui va nous intéresser.

 


J’ai utilisé des boîtes de Pétri (3 boîtes) remplies chacune avec un milieu de culture gélosé différent (c’est précisé sur une illustration un peu plus loin). J’ai étalé 0,1 mL de l’échantillon dilué 100x sur chacune de ces boîtes. Pour ce faire, je dépose ces 0,1 mL sur la gélose, et j’étale le tout à l’aide d’une petite raclette (on appelle ça un râteau). Comme sur cette vidéo.

 


Finalement, j’ai disposé les 3 boîtes dans un incubateur fermé à 30 °C pendant 24 heures avant de les sortir et de les observer.

 

Cultiver des microorganismes du sol : « voir » les bactéries

Et voilà ce que tu peux voir après cette période d’incubation. Sur les milieux, tu as des colonies qui apparaissent (Figure 3). Que sont ces colonies ?

 

Figure 3: J'ai étalé les échantillons dilués sur des boîtes de Petri. Ici, il s'agit du même échantillon étalé sur 3 boîtes contenant des milieux nutritifs gélosés différents. La première contient un milieu dit "lysogenic broth" (bouillon de lysogénie), la seconde un milieu dit "yeast peptone dextrose" (extrait de levure, de peptone et de glucose), surtout adapté aux champignons (mais certaines bactéries s'en contentent très bien) et le troisième un milieu d'extrait de malt, adapté aux moisissures (et certaines bactéries aussi).

En fait, dans l’échantillon, il y a des milliers de bactéries, de champignons microscopiques, de spores de champignons et/ou de bactéries, et de microorganismes divers —amibes, archées, etc. La majorité n’est pas cultivable dans les conditions de mes géloses, n’oublie pas. Sur ces 3 milieux, seules bactéries et champignons croissent. Chaque colonie correspond à un endroit où 1 seule bactérie ou champignon unicellulaire qui se trouvait dans l’échantillon est tombé et s’est divisée en millions de clones. Cette colonie devient visible à l’œil nu. Je t’ai déjà expliqué ça dans l’épisode 2, mais la figure 4 reprend ça dans le cas des bactéries.

 

Figure 4

Après 24h, si tu regardes de plus près, avec une loupe binoculaire, tu peux voir que ces organismes forment alors des colonies aux formes, tailles, textures, architectures, couleurs et odeurs différentes (Figure 5). Si tu es spécialiste, tu peux même déterminer à qui tu as à faire. Là, j'ai utilisé une loupe binoculaire de laboratoire, qui est couplée à une caméra permettant de prendre des photos, ce qui m'a permis de documenter les observations et les morphologies des colonies avec des grossissements plus importants. Tu peux constater que par rapport à ce que tu vois à l'oeil nu (Figure 3), les colonies peuvent présenter tout un tas de morphologies et de caractéristiques de texture que tu ne peux pas distinguer sans la loupe.

Figure 5
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Commentaire de la figure 5: La plupart de ces colonies sont dues à des bactéries. Tu peux voir qu’elles ont des formes, des textures, des densités différentes. Certaines sont bien circulaires, d’autres crénelées (image A, annotée «cré.»), quelques unes bombées, d’autres plates, certaines lisses et luisantes (image E, «lis.»), d’autres rugueuses et mates; il y en a qui sont ridées (image F, rid.), d’autres plates. Tu as même des colonies qui semblent rhizoïdes (tentaculaires, si tu préfères, image C, annotée Rhiz.). Il y a aussi des colonies filamenteuses (Fil, image F), qui sont dues à des champignons filamenteux (moisissures), qu’on voit surtout sur le milieu d’extrait de Malt, particulièrement favorable aux moisissures (champignons filamenteux).
 
Avec ça, on peut déjà déterminer à quel genre bactérien (procaryote) ou fongique (eucaryote) on a à faire, si on s’y connaît. Toutes ces formes, tu ne les distingues quasiment pas en observant la boîte, les détails sont assez petits. Je ne suis pas spécialiste des bactéries du sol, mais la plupart de celles qu’on voit sont des Bacillus (plusieurs espèces différentes, dont celle qui produit les colonies rhizoïdes), et il y a même des Streptomyces (dont je te parlerai bientôt). On distingue aussi pas mal de levures (champignons unicellulaires).

Chacune de ces colonies est constituée de millions de cellules bactériennes entassées au même endroit ou de chapelets de cellules (champignons filamenteux). Avec une loupe binoculaire, tu ne peux pas voir les cellules bactériennes individuelles, elles sont trop petites (0.5 à 2 µm en moyenne). Pareil pour les champignons, les cellules sont trop petites. Pour les voir, il faudrait un microscope. Là, le but n’était que de te montrer la morphologie des colonies.

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Si tu replaces les boîtes de culture dans l’incubation pour 24 heures supplémentaires, les colonies deviennent beaucoup plus grandes, certaines encore plus étalées et surtout les couleurs, les textures, les formes et les odeurs sont plus prononcés (Figure 6). En réalité, chaque espèce microbienne développe des colonies aux propriétés morphologiques différentes, et cela permet, en première instance, d’identifier certaines d’entre elles — mais attention, cela ne suffit pas à en être certain, il y a d’autres techniques pour le faire.

 

Figure 6

Bref, tu vois que la diversité de microorganismes dans 200 mg de terre, c’est déjà énorme. Il y a là des dizaines d’espèces différentes. Et là, il n’y a que les espèces qui « poussent » sur ces milieux nutritifs. Il n’y a pas non plus les amibes, les cyanobactéries, etc.

Rappelle-toi que dans l’épisode 2, je t’avais raconté que la culture sur boîte gélosée avait permis l’isolement de bactéries pures, c’est-à-dire d’une espèce particulière et sans contamination par d’autres. Ici, tu as un bel exemple de ce fait. L’échantillon contenait des dizaines et des dizaines d’espèces microbiennes différentes. Beaucoup ne se sont pas développées, ce qui t’élimine déjà pas mal de contaminants. Ensuite, en étalant sur la gélose, des cellules individuelles se sont déposées un peu partout, et se sont multipliées. Chaque colonie représente donc un amas de clones de cette cellule de départ. On observe des colonies très différentes entre elles, correspondant à des amas de cellules d’espèces très différentes. Eh bien maintenant, je pourrais, à l’aide d’un cure-dent (ou de son équivalent de laboratoire), prélever un peu d’une colonie isolée, et cultiver les bactéries qui s’y trouvaient sur une autre boîte ou en milieu liquide. Et j’aurais ainsi ce qu’on appelle une culture pure, ne contenant que l’espèce en question et plus toutes celles qui la côtoyaient dans l’échantillon.

N’oublie pas non plus que j’avais dilué l’échantillon 100 fois, et que j’obtiens déjà des dizaines de colonies par boîte ; dans les 200 mg, il y avait donc 100 fois plus de monde. Ce serait pareil si j’essayais de voir ce qui se trouve dans un appartement, un bureau, etc. On peut faire le même exercice pour voir ce qui se développe quand on pose sa main sur une boîte de Pétri (Figure 7) sans s’être lavé les mains depuis 3 heures, après les avoir lavées au savon, ou après les avoir désinfectées au gel hydroalcoolique. Beaucoup de monde aussi ! Au passage, tu « vois » que le gel hydroalcoolique éradique vraiment les bactéries de la peau.

Figure 7

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Commentaire de la figure 7: Sur la peau, de nombreuses bactéries se développent et vivent leur vie de bactéries. C’est normal. Si tu poses ta main sur une boîte de Petri contenant un milieu de culture gélosé (solide) avec tous les nutriments nécessaires à leur développement (ici c'était un milieu "lysogenic broth"), et que tu incubes cette boîte pendant 24 heures à 37 °C, tu obtiens ce genre de chose (A): des centaines de colonies jaunes (généralement des bactéries du genre Micrococcus ainsi que Staphylococcus aureus), des dizaines de petites colonies blanches (Staphylococcus, mais pas Staphylococcus aureus qui serait jaune très intense) et de grosses colonies blanches (souvent des Bacillus, très communs sur les surfaces, dans le sol, mais existant aussi sur la peau).

Je te montre aussi ce que ça donne si tu imprimes tes mains sur des boîtes de Petri avant de te laver les mains (A et C), après t’être lavé rapidement les mains au savon (D) (il reste toujours des bactéries et c’est normal) et après les avoir désinfecté à l’alcool 80° (E) (équivalent à ce qu’on trouve dans un gel hydroalcoolique). Après 24 heures à 37 °C, tu vois qu’il y a moins de bactéries après lavage des mains, et qu’il n’y en a plus aucune après désinfection à l’alcool.

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Il y a des centaines d’espèces de bactéries différentes sur la peau humaine, et c’est normal. C’est ce qu’on appelle le microbiote (microbiome, en anglais) de la peau[5][6][7]. Cela représente des milliards de cellules bactériennes, en tout. Sans elles, point de bonne santé. Et puis ne parlons pas de ce qui circule dans l’air. Spores de champignons filamenteux (moisissures) et autres formes de dissémination de microorganismes. Tu les respires à longueur de journée, ce qui t’expose au risque qu’ils s’y développent. Je t’en parlerai bientôt aussi. Dans l’air continental, par exemple, tu rencontres entre 1000 à 10 000 spores de champignons par mètre cube d’air[8][9]. A chaque inspiration, tu en inhales quelque chose comme une à quelques dizaines (en extérieur) ; elles finissent dans tes alvéoles pulmonaires.

Et là, on n’a pas parlé des virus du sol, de l’air ou qui se trouvent sur toi, en toi. On ne peut pas les « cultiver » sur boîte: impossible, ils ne sont pas autonomes. Mais ils sont des milliards. Je t’en parlerai une prochaine fois.

Pourquoi tout ces trucs — y compris les organismes qui vivent sur et en toi — ne parviennent pas à t’envahir, à se développer et à utiliser ton organisme comme réserve de nutriments ou usine à reproduction ? Parce que tu possèdes un système immunitaire. A cause de ces microorganismes, ce système immunitaire n’est jamais au repos. Jamais en veille. Les seules fois où tu remarques une infection, c’est parce que le système immunitaire n’est pas assez rapide ou que les envahisseurs parviennent à lui échapper. On va bientôt parler de système immunitaire. Sois patient.e. 

J’espère que ça t’a plu. Sur ce, je te dis à bientôt, et comme d’habitude, je te mets les sources en-dessous.

 

Références


[1] Le travail de référencement des espèces sur le territoire français est publié par le Muséum d’Histoire Naturelle : https://inpn.mnhn.fr/telechargement/referentielEspece/taxref/12.0/menu. Un résumé a été publié sur Futura-Sciences ici: https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/nature-biodiversite-y-t-il-especes-france-monde-10405/

[2] Le terme « biodiversité », en réalité, ne doit pas se référer qu’au nombre d’espèces, car c’est une représentation réductrice et trompeuse. Il faut aussi prendre en compte la diversité génétique, le nombre d’individus, etc.

[3] Steen AD, Crits-Christoph A, Carini P, DeAngelis KM, Fierer N, Lloyd KG, Cameron Thrash J. High proportions of bacteria and archaea across most biomes remain uncultured. ISME J. 2019 Dec;13(12):3126-3130. doi: 10.1038/s41396-019-0484-y

[4] Martiny AC. The '1% culturability paradigm' needs to be carefully defined. ISME J. 2020 Jan;14(1):10-11. doi: 10.1038/s41396-019-0507-8.

[5] Byrd AL, Belkaid Y, Segre JA. The human skin microbiome. Nat Rev Microbiol. 2018 Mar;16(3):143-155. doi: 10.1038/nrmicro.2017.157.

[6] Saheb Kashaf S, et al Integrating cultivation and metagenomics for a multi-kingdom view of skin microbiome diversity and functions. Nat Microbiol. 2022 Jan;7(1):169-179. doi: 10.1038/s41564-021-01011-w.

[7] Grice EA, Segre JA. The skin microbiome. Nat Rev Microbiol. 2011 Apr;9(4):244-53. doi: 10.1038/nrmicro2537. Erratum in: Nat Rev Microbiol. 2011 Aug;9(8):626

[8] Fröhlich-Nowoisky J, Pickersgill DA, Després VR, Pöschl U. High diversity of fungi in air particulate matter. Proc Natl Acad Sci U S A. 2009 Aug 4;106(31):12814-9. doi: 10.1073/pnas.0811003106.

[9] Bowers RM, Clements N, Emerson JB, Wiedinmyer C, Hannigan MP, Fierer N. Seasonal variability in bacterial and fungal diversity of the near-surface atmosphere. Environ Sci Technol. 2013;47(21):12097-106. doi: 10.1021/es402970s

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