Safari microbien — Episode 2 : un peu d’histoire de culture


Safari microbien — Episode 2 : un peu d’histoire de culture

 

L'épisode 1, c'est par .

Pour cultiver des bactéries, on a longtemps connu seulement les bouillons de culture”, qu’on appelait aussi des infusions”. Du liquide, quoi. La méthode n’est pas très compliquée. De nos jours, on utilise des poudres de substances nutritives qu’on dissout dans de l’eau, puis on stérilise tout ça dans un appareil — un autoclave — qui fait subir audit bouillon des cycles d’ébullition afin de tuer tout organisme qui y aurait élu domicile. Au XIXe siècle, lorsqu’est née la bactériologie, on infusait différents ingrédients comme de la pomme de terre, du foin ou d’autres extraits de viande dans de l’eau bouillante pour obtenir le même genre de préparations. Une fois prêt, on pouvait inoculer ce bouillon avec un échantillon, et attendre ensuite que le ou les microorganismes qui s’y trouvent ne se multiplient (à condition que le bouillon leur permette de se développer, évidemment) pour obtenir une culture bactérienne”. La Figure 1 te présente cette technique.

Figure 1

Néanmoins, cette technique là n’était pas très pratique pour isoler des microorganismes sous forme pure —sans contaminants
[1][2]. Pourquoi ? Parce que si plusieurs espèces de microorganismes se trouvaient dans l’inoculat, et qu’elles se développaient toutes, alors on obtenait une culture contenant un mélange de plusieurs milliards de bactéries représentant autant de descendants de ces espèces. Impossible de les séparer facilement. Il existait des techniques pour espérer le faire, mais c’était à l’aveugle.

Vers 1881, Robert Koch (1843-1910), l’un des pères de la bactériologie, remarqua une tranche de pomme de terre cuite oubliée dans sa cuisine, sur laquelle des colonies de microorganismes avaient poussé[3]. Vues au microscope (oui, Koch était investi dans son travail !), chacune était pure — ne contenait qu’une seule espèce de microorganisme! (Voir Figure 2).

Figure 2: Reproduction du texte de l'encadré: « Etre capable de ‘faire croître’, ou cultiver, des microbes isolés était le Saint Graal des bactériologistes [...]. Un jour qu’il travaillait dans son laboratoire, Koch remarqua une tranche de pomme de terre cuite abandonnée qu’il devait avoir perdue lors d’une pause déjeuner récente. En y regardant de plus près, il nota que sa surface était parsemée de gouttelettes de différentes couleurs. Que pouvaient-elles bien être? Bien entendu, la première chose que fit Koch fut de préparer une lame [de verre] de chacune des gouttelettes. Il les monta sur son microscope. Eurêka ! Chaque gouttelette contenait une culture pure d’un seul type de microbe. La gouttelette bleue contenait seulement le microbe X. La gouttelette rouge seulement le microbe Y. Koch réalisa alors que là où un microbe issu de la poussière suspendue dans l’air avait sédimenté sur la pomme de terre, une colonie de ce type-là de microbe avait commencé à se former. Koch avait trouvé la première colonie pure de microbes isolés. » Extrait de: Goldstein, N. Germ Theory (Science Foundations), Chelsea House Pub; Illustrated edition (November 1, 2010), p. 75
 
 Koch raisonna qu’une cellule initiale — ou une spore — s’était échouée sur cette tranche et que, rencontrant un milieu favorable à son développement, elle s’était multipliée, formant une colonie de millions de cellules semblables alors visible à l’œil nu sans microscope (Figure 3).

Figure 3
 

Il développa une méthode qui utilisait un bouillon liquide — contenant les nutriments nécessaires — auquel il ajoutait de la gélatine (utilisée en cuisine) chauffée, laquelle, en refroidissant, se solidifiait, créant un milieu solide aussi fécond qu’une tranche de patate [1], mais contenant les ingrédients du bouillon habituellement liquide. La gélatine s’avéra toutefois peu pratique, car passés 30-35 °C, elle se liquéfiait à nouveau et, de plus, certains microorganismes produisaient des enzymes dégradant la gélatine… Ce qui posait un certain nombre de soucis techniques.

Figure 4

Angelina (Lina) F. Hesse (1850-1934) travaillait dans le même laboratoire. Elle parvenait chez elle à cuisiner du pudding et des gelées culinaires qui ne fondaient pas à haute température, chose qui intriguait son mari, Walther Hesse, lui aussi bactériologiste chez Koch[4][5][6][7].

Elle conseilla alors à Walther d’utiliser de l’Agar-agar, extrait d’une algue, technique qu’elle avait apprise à New York (d’où elle venait) d’un voisin qui avait vécu à Java, où cette substance était déjà utilisée depuis des générations pour gélifier les préparations culinaires. L’Agar-agar fond, une fois chauffé dans un milieu liquide et, lorsqu’il se refroidit, redevient solide, homogène et lisse — effet recherché pour la préparation de gelées, confitures ou puddings, justement. Parfait ! Et il reste solide jusqu’à 50 °C. Vendu !


C’est donc l’Agar qui fut utilisé. Ajouté à des bouillons liquides, chauffé, et refroidi, il forme ce qu’on appelle aujourd’hui une gélose. On la coule dans des tubes ou des boîtes de Petri pour obtenir ce que tu as certainement déjà vu assez souvent (Figure 5).

 

Figure 5

D’ailleurs, c’est un autre membre du laboratoire de Koch, Julius Petri (Figure 5), qui inventa la boîte ronde à couvercle qui porte aujourd’hui son nom, et qui permettait de maintenir les milieux à l’abri des contaminations externes tout en étant facilement manipulables [1].

Sur ce genre de milieu translucide, lisse et homogène, les microorganismes se développent comme sur les tranches de pomme de terre de Koch, mais forment des colonies encore plus délimitées, bien propres (Figure ).

Figure 6: Cultures sur boîtes de Petri gélosées de la bactérie Escherichia coli (à gauche) et de moisissures dont les spores circulent dans l'air (à droite). Toutes sorties du labo rien que pour toi, chère lecteur/chère lectrice.
 

Ainsi naquit la culture sur milieu gélosé, qui, accessoirement, permit l’isolement et la purification rapides et aisés de microorganismes divers et variés et révolutionna la microbiologie. En 1890, on cultivait les microorganismes comme aujourd’hui.

J’espère que cette petite histoire te plaira, et, forts de ces nouvelles connaissances, je te dis à bientôt !



[1] Blevins SM, Bronze MS. Robert Koch and the 'golden age' of bacteriology. Int J Infect Dis. 2010 Sep;14(9):e744-51. doi: 10.1016/j.ijid.2009.12.003

[3] Goldstein, N. Germ Theory (Science Foundations), Chelsea House Pub; Illustrated edition (November 1, 2010), p. 75

[4] Hesse, W. « Walther and Angelina Hesse-Early Contributors to Bacteriology », American Society of Microbiology, 58(8),‎ 1992; https://www.semanticscholar.org/paper/Walther-and-Angelina-Hesse-Early-Contributors-to-In-Hesse-Gr/8e3ac04cf7e9dbc6a8fb3f612a9bd55b5cd7b357

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

SOMMAIRE

Information utile, tu peux me trouver sur BlueSky: @duxpacis.bsky.social   Intention du blog — De quoi va-t-on parler ? Comment ? Et qui su...